Au Jardin du Luxembourg*

– À la nouvelle des otages fusillés en Grèce –
Moi-même
assis à l’aise ici sur une chaise en fer
entre l’eau jaillissante et la palme immobile
moi-même me tenant en bon equilibriste
la bouche muette et le coeur jaillissant
moi-même
avec mon corps intact
qui jamais ne fut torturé
avec mes mains trop propres
qui n’ont jamais tué
moi-même
et vous
vous tous
 
Ah comme ils sont cruels voyez-vous les otages
 
ces derniers silences avant le cri énorme qui est la
 
mort devant les murs
 
comme ils sont impitoyables
 
On ne peut que crier avec eux
 
ou les étouffer Les tuer
 
ou mourir avec eux
 
les impitoyables
Moi-même
et vous
vous tous
quoi que vous fassiez
dans ce long crépuscule qui ondule et frissonne
comme un bouquet de roses
 
On ne peut que les prendre pour des bètes
 
ou les prendre pour soi l’on ne peut
 
qu’ordonner feu ou partager avec eux
 
leur dernière nuit on ne peut
 
que crier avec eux et rien que crier on ne peut
 
que pleurer avec eux de ne pouvoir lutter encore on ne peut
 
que penser avec eux à un dernier baiser qui
 
jamais n’aura lieu de penser avec eux à quelqu’un qu’on aime
 
pour lui dire un môt très tendre on ne peut
 
que mourir avec eux pour que l’on puisse vivre
 
ou les tuer pour soi-même mourir
Assis à l’aise ici sur une chaise en fer
entre l’eau jaillissante et la palme immobile
la bouche muette et le coeur jaillissant
otages ou bourreux
moi-même
et vous
nous tous
[ Digitális Irodalmi Akadémia ]